Blockchain, smart contracts et propriété intellectuelle

La blockchain est une technologique utilisée à l’origine pour développer des crypto-monnaies comme le Bitcoin. Wikipedia la définit comme « une base de données distribuée qui gère une liste d’enregistrements protégés contre la falsification ou la modification par les nœuds de stockage. À proprement parler, une blockchain est un historique décentralisé des transactions effectuées depuis le démarrage du système réparti. »
Cette petite vidéo proposée par Rue89 vous permettra de comprendre en quoi consistent les grands principes de fonctionnement de la blockchain.
Depuis quelques mois, la blockchain déchaine les passions. Après avoir défrayé la chronique dans le monde bancaire, d’autres applications sont envisagées, et parfois déjà expérimentées, au point de désigner la blockchain comme une révolution aussi fondamentale que l’internet lui-même.
La blockchain deviendrait à terme une « nouvelle infrastructure des échanges » sur une base décentralisée, jouant un rôle similaire à celui que le protocole TCP/IP a joué dans l’avènement d’Internet.
Le potentiel de ce nouvel « internet des transactions » réside en grande partie dans les smarts contracts, des programmes autonomes, codés sur la blockchain, qui exécutent automatiquement tout ou partie d’un contrat sans intervention humaine.
Dès lors qu’une des conditions préprogrammées du smart contract se réalise, la clause contractuelle lui correspondant est automatiquement exécutée.
Les « contrats intelligents » permettent ,en théorie, à deux partenaires de nouer une relation commerciale sans qu’ils aient besoin de se faire confiance au préalable, sans autorité ou intervention centrale : c’est le système lui-même, et non ses agents, qui garantit l’honnêteté de la transaction.
Les smarts contracts, comment ça marche ?
Les smart contracts reposent sur un codage informatique : ce sont des programmes qui encodent de manière formelle certaines conditions et résultats ; ce code doit recevoir l’accord préalable des parties contractantes. Les étapes sont les suivantes :
- Traduction des termes du contrat en code informatique: dans la mesure où les systèmes numériques sont déterministes, toutes les issues possibles liées au contrat, dont notamment la rupture du contrat et la décision de soumettre les litiges à un arbitre, doivent être spécifiées explicitement.
- Accord des parties sur le code qui sera utilisé.
- Exécuter le code de manière fidèle.
Quelles applications ?
Les applications de smart contracts sur la blockchain sont très nombreuses : prêts, assurances, paris, financements participatifs, locations, etc…
Une blockchain spécialement dédiée aux smarts contracts a même été lancée : Ethereum, présenté comme le « premier véritable ordinateur global ».
Ethereum fonctionne avec l’ether, une monnaie virtuelle qui sert à payer l’exécution des smart contracts, dont le fonctionnement peut consommer des ressources importantes. Les bénévoles gagnent cet ether en validant des transactions, sécurisant ainsi le réseau.
Et la propriété intellectuelle dans tout ça ?
Dans le domaine de la musique, les artistes pourront établir la paternité de leur œuvre grâce à la blockchain, la protéger contre une utilisation frauduleuse, et aussi définir les termes d’un contrat intelligent dans lequel seront stipulées (et exécutées) les licences accordées.
La blockchain pourrait breveter gratuitement et instantanément des objets open-source, puisqu’un brevet n’est fondamentalement qu’un concept horodaté et gardé dans un endroit où il est infalsifiable.
Un projet mérite d’être cité : Ascribe, lancé en 2014 pour aider les créateurs à sécuriser leurs droits de propriété intellectuelle grâce à la blockchain.
Ascribe s’applique à tout type de licence, y compris les licences Creative Commons (CC). Les créateurs peuvent enregistrer leurs œuvres sous une licence CC sur la blockchain en suivant le processus suivant:
- Aller au http://cc.ascribe.io
- Charger l’œuvre et entrer les metadonnées appropriées: le titre, l’auteur et l’année;
- Choisir la licence CC; et cliquez sur «enregistrer».
Le service ira alors enregistrer de manière sécurisée le fichier —horodaté avec les conditions de la licence— sur la blockchain, avec toutes les metadonnées qui ont été fournies.
Les licences Creative Commons deviennent ici de véritables « smart contracts » garantissant aux créateurs une plus grande traçabilité de leurs oeuvres au fil des circulations et des réutilisations en ligne.
Le service a été conçu afin de permettre à des titulaires de droits de contrôler la diffusion de leurs oeuvres sur l’internet, dans une logique finalement proche de celle des DRM, ce qui paraît plutôt ironique pour une technologie conçue à l’origine pour être libertaire…
Nul doute que ces applications attireront l’attention des sociétés de gestion collective, pour qui la blockchain est une menace, mais peut être aussi une opportunité car elle permet d’améliorer la gestion des droits.
Citons enfin le smart contract « Blockchain Oriented Programming », ou BOP, qui permet d’exécuter des logiciels, lesquels ne sont pas vendus. Seule est payée l’exécution à distance, sorte de « cloudification du code ». Certains y voient déjà un nouveau paradigme de la programmation, plus radical encore que l’open source.
Les difficultés juridiques
La blockchain est à la fois un registre de preuve et une infrastructure permettant d’automatiser des transactions.
Sur le terrain de la preuve, de nombreuses questions demeurent, dont la principale est : quelle opposabilité des titres enregistrés sur la blockchain en l’absence de texte légal ?
Sur le terrain du droit des contrats, un smart contract n’est pas nécessairement un contrat au sens juridique du terme. Il est plutôt une modalité technique d’exécution de celui-ci.
Dès lors, son exécution dans le « monde réel » ne sera pas aisée.
Comment un juge réagira-t-il s’il est saisi d’une demande d’exécution forcée d’un contrat, dont tout ou partie des stipulations est exécutée par un smart contract ?
Si les parties décident de modifier leurs accords, comment transposer ces amendements dans le smart contract ?
Dans le cas de communautés auto-gérées grâce à des smarts contracts, comment les autorités vont-elles réagir puisqu’elles n’auront aucune entité juridique à qui s’adresser ? Comment et qui réprimer en cas d’activités illicites ?
La question est d’autant plus cruciale que les smart contracts sont implémentés selon une technologie cryptographique opaque pour les tribunaux. Comment pourront-ils lire les contrats intelligents, et identifier toutes les parties en cause ?
Bref, les smarts contracts n’ont pas fini de faire parler d’eux, et une réflexion d’ensemble sur leur statut sera nécessaire.